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« Jetez le filet à la droite de la barque
et vous trouverez » (Jn 21, 6a)
1. Chers frères et Sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté ! À vous tous, grâce et paix de la part de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ.
Réunis en Assemblée Plénière ordinaire à Bangassou, nous, Évêques de l’Église Catholique en Centrafrique, en écho et résonnance avec les différentes situations que vivent nos diocèses respectifs, tenons à exprimer notre proximité et notre solidarité avec toutes les populations du Mbomou et du Haut Mbomou, et de manière particulière avec celle de Mboki, secouée ces derniers jours, par des affrontements violents ayant entraîné des pertes importantes en vies humaines et des déplacements de la population. Malgré leur isolement du reste de notre pays, du fait de la dégradation des routes, de l’insécurité et des exactions commises par les groupes armés avec toutes les conséquences que cette situation entraîne tant sur le plan éducatif, sanitaire et économique, elles continuent de faire montre de courage et de résilience.
2. Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté ! La mission de l’Église consiste à annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu en vue du salut (Cf. Mc 16, 15-16). Si la vocation de l’Église n’est pas d’organiser la vie sociale et la réalité politique, elle ne saurait faire fi des situations socio-historiques, économiques et politiques que vivent les destinataires de l’Évangile. Le mystère de l’Incarnation, par lequel le Verbe de Dieu s’est fait chair, oblige l’Église à une sollicitude et une solidarité particulière pour les réalités historiques, sociopolitiques et économiques.
Ainsi, après avoir prié et échangé autour des situations sécuritaires et humanitaires, éducatives et pastorales de nos diocèses et autour de la pertinence de l’engagement de l’Église en Centrafrique confrontée aux défis de notre temps, nous vous invitons à réfléchir
sur la situation actuelle de notre pays à la lumière de la présence du Ressuscité au lendemain de la pêche infructueuse des disciples.
I. UN PROCESSUS DE SOCIALISATION MARQUÉ PAR LA VIOLENCE ET DES
TENSIONS
3. Tout processus de socialisation réussi prend sa source dans la famille. Or, les crises militaro-politiques à répétition que notre pays a vécues ont déstructuré les familles et compromis l’éducation. Elles ont inauguré et instauré une nouvelle culture, celle de la violence et de l’impunité, des contre-valeurs enracinées dans l’individualisme et l’égoïsme, l’incivisme et l’indifférence. La perte du sens de l’effort conduit à la recherche de gains faciles et frauduleux. Pour survivre, certains concitoyens optent pour la violence. Cela conduit aux nombreux cas de vol à mains armées dans nos quartiers, dans les villes de nos provinces et sur les différents axes routiers.
4. L’impunité dont jouissent malheureusement certains auteurs de crimes ainsi que le manque ou le peu de confiance dans la justice engendrent un sentiment de frustration et créent un cercle vicieux. La frustration pousse les victimes à se faire justice elles-mêmes devenant ainsi, à leur tour, des bourreaux. En toute évidence, toute persistance de violences et de haine, d’injustices, d’impunité et de corruption généralisée, compromet la capacité de notre pays à se reconstruire et à se relever.
5. Les réseaux sociaux, les fake news, la calomnie et la délation servent malheureusement aujourd’hui de caisse de résonnance et d’amplification à une culture d’inimitié qui menace chaque jour de faire exploser la communauté de destin que nous formons. Notre pays semble avoir adopté une culture de la force dévastatrice et prédatrice, de la haine et de la mort. De même la recherche, l’exercice et la conservation du pouvoir sont teintés de violence.
6. L’extrême pauvreté de la plus grande partie de la population, aggravée par l’inflation galopante des prix des denrées et produits de première nécessité, sans une augmentation du pouvoir d’achat du peuple centrafricain, est le panorama quotidien qui s’impose à nous.
7. Face à la situation sociopolitique et économique qui prévaut dans notre pays, le gouvernement a fait aujourd’hui le choix politique de convoquer le peuple à un referendum afin de doter notre pays d’une nouvelle Constitution. Tenant compte des verrous constitutionnels, la Conférence Épiscopale Centrafricaine (CECA), dans une correspondance adressée aux autorités politiques, avait décliné l’invitation de faire partie du Comité chargé de la rédaction du projet de cette Constitution. L’Église s’interroge sur la pertinence d’un tel choix politique du gouvernement aux regards des principes et jeux démocratiques et, surtout, de nombreux défis sociopolitiques et économiques auxquels fait face le pays. Nous sommes conscients de tous les efforts et sacrifices consentis pour ramener la paix et reconquérir progressivement la souveraineté nationale. Toutefois, il nous faut éviter de créer des conditions susceptibles de susciter de
nouveaux troubles sociopolitiques.
Par ailleurs, nous exprimons nos inquiétudes quant aux appels et à l’incitation à la résistance violente émanant de certains hommes et femmes politiques et leaders d’opinions.
8. Face au contexte général actuel de notre pays, le risque du découragement est réel. Grande est la tentation de croire que nos efforts ne peuvent en définitive rien donner, qu’il n’y a plus rien à faire et à espérer et donc de céder à la résignation.
II. LA PRÉSENCE SALVIFIQUE DU CHRIST RESSUSCITÉ
9. « Jetez le filet à la droite de la barque et vous trouverez » (Jn 21, 6a). La situation actuelle de notre pays peut s’apparenter à l’expérience des disciples (Cf. Jn 21, 1-14). Bien qu’ils aient pêché toute la nuit en pêcheurs expérimentés, leur labeur s’est avéré infructueux, à croire que la nature elle-même se serait rebellée contre eux. L’expérience des disciples est l’expression typique du paradigme de la nuit. Celle-ci évoque ainsi le domaine dépourvu de la lumière du monde qu’est le Christ (Cf. Jn 8, 12; 9,4ss). La nuit est associée à l’ignorance, à la haine et à l’esprit malin. (Cf. Jn 3,20). C’est pendant la nuit que sortit Judas pour trahir le Christ après que Satan se soit emparé de son cœur (Cf. Jn 13, 26-30). La nuit peut susciter aussi la frayeur et l’angoisse (Ps 91,5).
10. La tentation lancinante qui résulte de l’expérience de l’échec de la nuit est celle de baisser les bras et de laisser affleurer la lourde question existentielle : À quoi bon ? Et pourquoi faut-il encore continuer ? L’échec peut conduire au découragement, au pessimisme, à la résignation, au désespoir et à la perte de foi. Et pourtant, l’infécondité de la nuit est surmontée par l’abondance du petit matin qui témoigne de la présence du Ressuscité.
11. Au cœur du découragement et de la désespérance des disciples résonne l’invitation du Ressuscité : « Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez » (Jn 21, 6a). Le Seigneur Ressuscité partage les préoccupations et les soucis des siens. Son invitation n’est ni une simple réorientation ni une détermination aléatoire d’un nouvel endroit où jeter le filet. Il ne s’agit pas non plus d’un changement de perspectives et d’approches. La parole du Ressuscité conduit à trouver là où les disciples, tous seuls, ont échoué. Il faut jeter le filet à droite, précisément à l’endroit qu’il indique. La parole du Ressuscité est puissante et efficace, créatrice et porteuse de vie, d’espoir et d’avenir.
12. L’expérience désespérée des disciples, surmontée par la présence et la parole puissante du Christ Ressuscité, nous enseigne une vérité fondamentale. Quand Dieu n'est pas associé à nos projets et lorsque nous rêvons de construire l'édifice de nos vies et de nos sociétés, l’avenir de notre nation, sans Lui, tout conduit à l’échec et à l’infécondité. La foi nous donne l’assurance que sur nos chemins de la vie, nous ne sommes pas seuls. Au cœur de nos épreuves, de nos difficultés et motifs de découragement, face à un avenir sombre et désespérant, le Ressuscité invite ses disciples et son Église à la foi et à l’espérance.
À la suite des apôtres, l’Église est invitée à s’ouvrir et à se disposer pour reconnaître le Ressuscité et ainsi être prompte, à l’instar du disciple bien-aimé, à proclamer : « C’est le Seigneur ! » (Jn 21, 7).
III. L’IMPÉRATIF D’UN ENGAGEMENT PATRIOTIQUE POUR LA PAIX
13. Pour notre pays, l’impératif de jeter le filet nous invite à élaborer des plans d’actions en vue de rétablir, entre autres, la paix et la cohésion sociale, de créer des emplois et des opportunités de travail et de promouvoir la conscience patriotique.
14. La paix n’a pas de prix. Nous ne le dirons jamais assez. La paix intercommunautaire et socio-économique, la paix entre toutes les entités politiques et militaires doit être le souverain bien vers lequel doivent converger tous nos efforts. Il est important d’apprendre des erreurs du passé, de la mémoire de nos souffrances non-encore totalement guéries pour construire durablement la paix et l’avenir de ce pays sur des bases saines et des valeurs d’équité et de justice, de fraternité et de sincérité.
15. Aujourd’hui, plus que jamais, l’Église et l’État, doivent davantage collaborer pour sensibiliser et former la population centrafricaine à la culture et à la préservation de la paix et du vivre-ensemble. La paix et la cohésion sociale doivent reposer sur des valeurs fondamentales du respect de la dignité de la personne humaine. Elles doivent nous
permettre, sans aucune discrimination, d’assurer à chacun l’égalité des chances, l’accès effectif aux droits fondamentaux et au bien-être éducatif, social et sanitaire, économique et culturel en vue d’une active et meilleure participation à la construction de notre pays.
16. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que l’instruction et l’éducation, la culture et l’emploi sont des leviers décisifs pour sortir de l’engrenage des manipulations et des enrôlements dans les groupes armés. Ils permettent ainsi de prévenir les conflits et de préserver la paix sociale. Plus que jamais, nous encourageons les jeunes à se mettre debout, en prenant leur vie et destin en main. Dans cette optique, il urge de leur offrir des opportunités de travail, car le travail participe de la dignité. Il permet de sortir de l’ornière de la dépendance et des
frustrations, pour s’autonomiser et se prendre en charge. Il importe donc de créer des emplois en mettant en place des structures et centres de formation professionnelle et d’encourager l’entreprenariat. Dans ce sens, des capitaux devront être massivement investis dans le secteur agro-pastoral, dans l’entreprenariat, dans les Petites et Moyennes Entreprises (PME) et les classes moyennes, et l’accès aux prêts et aux crédits bancaires favorisé.
17. Le rétablissement de la paix et de la cohésion sociale, ainsi que la création des opportunités et des emplois, ne peuvent être effectifs que lorsqu’ils sont animés par l’amour de la patrie. Cette assise fondamentale oblige à mourir à soi, mourir à nos ambitions démesurées de grandeur et renoncer à la quête effrénée de la satisfaction de nos intérêts partisans et égoïstes pour ne considérer que le bien suprême de la nation.
18. Pour sortir de cette situation, la culture du travail bien fait avec dévouement et abnégation doit devenir le cheval de bataille d’une République Centrafricaine en voie de relèvement. C’est un enfantement douloureux qui exige une prise de conscience patriotique et des réformes conséquentes.
19. Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté ! Main dans la main, œuvrons ensemble pour léguer aux jeunes générations présentes et futures un Centrafrique meilleur et prospère où l’unité, la dignité et le travail
en sont véritablement le socle et la boussole.
20. Puisse la Bienheureuse Très Sainte Vierge Marie intercéder pour notre pays et nous accompagner dans la recherche du rétablissement de la paix et de la cohésion sociale, dans le respect de la dignité de chaque Centrafricain et Centrafricaine et des principes de notre nation. Sainte Vierge Marie, Notre Dame de la paix, priez pour nous !
Donné en la Cathédrale Saint Pierre Claver
de Bangassou, le 25 juin 2023